MERCREDI 21 AOUT 2002 - L’YONNE REPUBLICAINE

 

Le projet qui fait bouillir le lac de Chamboux, près de Saulieu (Côte-d’Or)

Le groupe Pierre et Vacances veut implanter 300 maisons (1 500 lits) sur les rives du lac artificiel de Chamboux. Aubaine économique ou menace écologique ?

D’un côté il y a l’ensemble des élus locaux, toutes tendances politiques confondues et la plupart des commerçants qui se frottent les mains devant ce " cadeau " tombé du ciel.
De l’autre, il y a les plus proches riverains constitués en une association Sauver Chamboux qui pétitionnent à tour de bras (4 000 signatures annoncées) pour faire barrage à ce qu’ils considèrent être une menace écologique et un risque énorme pour les finances publiques (lire par ailleurs).
Le projet immobilier proposé par le groupe Pierre et Vacances ne peut, en effet, laisser indifférent ce bout de Morvan situé à une douzaine de kilomètres à vol d’oiseau du sud de l’Yonne, à la frontière entre Nièvre et Côte-d’Or.
A moins de quatre kilomètres de Saulieu, sur les bords du lac artificiel de Chamboux, 75 hectares, créé il y a 20 ans pour servir de réserve d’eau potable, Pierre et Vacances (qui possède Orion vacances, Center parcs, Gran dorado group, et Bagaglino) souhaite implanter un complexe touristique de 300 maisons d’ici à 2005 ou 2006. Une première tranche de 150 maisons pourrait être livrée pour ouverture à l’été 2004. Sur un domaine d’environ 25 hectares constitué de l’actuel camping et de champs alentours, le groupe immobilier proposerait des maisons en duplex de 30 à 60 mètres carrés d’une capacité d’accueil de cinq personnes. Soit à terme une capacité de 1 500 lits. Des logements que le groupe vend à des propriétaires privés pour lesquels il assure la gestion par bail d’une dizaine d’années en offrant un revenu régulier (lire par ailleurs).

Plusieurs sites pressentis

A Chamboux, nous n’en sommes pas encore là. Car si le projet avance, il est loin d’être ficelé. Un petit retour en arrière s’impose : Pierre et Vacances, déjà présent en montagne et en bord de mer souhaitait diversifier son offre touristique en proposant un site à la campagne, plus particulièrement en Bourgogne. Il y a un eu plus d’un an, en relation avec l’ex-ministre de l’Agriculture, ex-secrétaire d’Etat et ex-député de Côte-d’Or, François Patriat (PS), plusieurs sites potentiels ont été explorés sur les communes de Créance, Vandenesse, Etang-sur-Arroux, Arnay-le-Duc et Les Settons. Finalement c’est la commune de Saint-Martin-de-la-Mer et son lac situé près de Saulieu qui a séduit le groupe.
Le maire de Saint-Martin, Henri Laville, résume en quelques mots les points forts du site : " Son aspect sauvage, les sorties autoroutières d’Avallon ou Bierre-en-Morvan à moins d’une demi-heure, un arrêt TGV à Montbard relié par une navette à Saulieu en 45 minutes ".

Un centre aqua-ludique de 11 millions d’euros

Pierre Poillot, le conseiller général de Liernais et président du syndicat du barrage qui exploite le lac de Chamboux ajoute à cette relative facilité d’accès d’autres arguments " Les résidents pourront à la fois profiter de la nature, de la gastronomie à Saulieu et aux alentours, faire du golfe à Chailly, visiter Autun, Bibracte, Vézelay ou Avallon, faires de descentes de cave, aller aux champignons, faire du ski nautique ou du VTT ". Des atouts cependant insuffisants pour que Pierre et Vacances remplisse son village entre huit et 10 mois par an.
D’où la condition posée par le groupe : Il ne s’installera à Chamboux que si les collectivités locales lui donnent un coup de main en construisant un parc aqua-ludique estimé à près de 11 millions d’euros. Ce parc avec centre de séminaires (lire par ailleurs) offrirait sur place une activité, notamment les jours où le Morvan peine à présenter chaleur estivale et ciel azur (Il y en a…).
Les élus s’emploient depuis lors à préparer le terrain. Le syndicat mixte du barrage a modifié ses statuts en février pour rendre possible l’accueil de loisirs et de tourisme sur les terrains concernés par le projet. Il poursuit l’acquisition de ceux dont il n’était pas propriétaire et se prépare à les viabiliser pour revendre autour de 825 000 euros les parties constructibles à Pierre et Vacances.

Chasse aux subventions

Le syndicat, qui pourrait selon toute vraisemblance endosser la propriété du parc aqua-ludique, est également parti à la pêche aux subventions auprès de l’Europe, de l’Etat, de la région et du département de Côte-d’Or pour le réaliser. Avec pour ambition de boucler le tour de piste d’ici à la fin de l’année. Et, surtout, d’assurer par ces subventions 70 % du coût du parc.
Resterait alors 3,3 millions d’euros à emprunter pour réaliser ce complexe qui serait alors loué à un gestionnaire : Pierre et Vacances ou une autre société. " On ne se lancera que quand on aura le contrat de location, notre objectif c’est une opération blanche ", affirme Pierre Poillot en soulignant : " On attend également une esquisse plus détaillée du projet et un plan prévisionnel qui justifie l’intervention des fonds publics ".
De son côté, la commune de Saint-Martin-de-la-Mer travaille à l’élaboration d’un Plan local d’urbanisme (PLU) pour la fin de l’année afin de rendre constructible des résidences de vacances sur la zone concernée.
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Pierre et vacances construit, vend puis loue

La formule Pierre et Vacances rodée en d’autres points de France peut se résumer de la manière suivante : le groupe vend autour d’un million d’euros chacun de ces logements meublés à des particuliers qui signent avec lui un bail d’une dizaine d’années. Les nouveaux propriétaires s’engagent par ce bail à donner la gestion de leur résidence à Pierre et Vacances, qui en contrepartie leur assure un revenu régulier pour cette durée (4 % annuels du montant de l’acquisition). Charge à Pierre et Vacances d’assurer le remplissage.
Selon les types de contrat, chaque propriétaire a la possibilité de se réserver jusqu’à six semaines de séjour par an dans sa résidence et il peut bénéficier de conditions préférentielles de location dans d’autres sites du groupe.
Chaque propriétaire bénéficiera de surcroît d’une déduction fiscale dans la mesure où cet investissement est réalisé en " zone de revitalisation rurale ", ainsi que d’un remboursement de la TVA dans la mesure où il s’engage à louer son bien 46 semaines par an pendant la durée du bail.
Au terme de ce bail d’une dizaine d’années, les propriétaires disposeront de leur bien. Ils pourront alors opter pour un nouveau contrat de location avec Pierre et Vacances, le proposer à un autre loueur ou en disposer pour eux. Actuellement les trois-quarts des propriétaires dont le contrat arrive à son terme poursuivraient leur route avec le groupe.
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Un espace aqua-ludique de 11 millions d’euros

L’espace aqua-ludique, c’est une possibilité d’offrir aux résidents une activité sur le site et c’est pour Pierre et Vacances la condition à son installation.
C’est aussi un chantier estimé à 11 millions d’euros, qui divise partisans et opposants au projet, dans la mesure où il devra être réalisé par le syndicat du barrage ou une collectivité locale.

Financé en grande partie par le contribuable

Et surtout qu’il devra être financé en grande partie par le contribuable (autour de 70% de financements Europe-Etat-région-département, le reste sous forme d’emprunt remboursable par la location des lieux à un gestionnaire).
L’association de défense Sauver Chamboux estime qu’il n’est pas du ressort du public de céder aux exigences d’un investisseur privé. Dans le même temps, le conseiller général socialiste du canton et président du syndicat mixte du barrage estime que "s’il n’y a pas de financement public les projets économiques, et ce projet touristique en est un, sont amenés à disparaître " Eternel "chantage" et éternel débat.
Dans ce cas précis, les contribuables pourront toutefois profiter de l’équipement en allant s’ébattre dans les eaux de cette bulle, qui ne sera pas uniquement réservée à la clientèle Pierre et Vacances... En leur souhaitant de ne pas avoir à éponger le bouillon.
L’espace aqua-ludique proposera bassin ludique avec nage à contre-courant, rivière, toboggans, jets, jacuzzis et cols de cygne... salle de fitness, cabines de soins et de remise en forme, hammams et saunas etc. sur 2 000 m2. Un espace jeux enfants de 1 200 m2 Et un espace séminaire de 200 personnes avec cuisine de réchauffage sur environ 500 m2 .
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POUR / Le comité de soutien, élus et commerçants

" Ne pas gâcher cette opportunité "

Les perspectives de créations d’emplois (entre 40 et 70 prévus) et de retombées économiques les ont séduits.

Architecte à Saulieu, Guy Cabaut a pris la tête d’un comité de soutien au projet Pierre et Vacances, provoqué une réunion au printemps et diffusé des affichettes" Oui aux retombées économiques de Pierre et Vacances dont il reste aujourd’hui quelques traces dans les vitrines des commerces de Saulieu. L’architecte (auteur de l’usine du Borvo à Chemilly-sur-Yonne) se défend d’être personnellement intéressé par la construction des 300 résidences : " Ils ont leurs propres cabinets d’études et en ce moment on a tellement de boulot "

Son coup de gueule trouverait une motivation ailleurs : " Je ne suis pas morvandiau. Je suis arrivé là il y a 24 ans et j’ai été extrêmement bien reçu. Le Morvan doit et restera la terre d’accueil qu’il a toujours été. Il ne doit pas devenir une réserve. Il y a toujours enrichissement culturel à côtoyer des personnes venant d’autres horizons "
Guy Cabaut croit aux retombées économiques pour le tissu local, aux créations d’emplois (entre 40 et 70 dans les services, l’accueil, la maintenance, selon les estimations avancées) et il n’a visiblement pas apprécié que le projet soit contesté avant même d’être parfaitement défini. Selon lui, " il faut faire confiance aux élus et avoir confiance dans l’administration. Ceci ne nous empêchera pas d’avoir si nécessaire le moment venu nos remarques à formuler et à faire entendre ". Quand au recours à un financement public sa réponse est sans appel "Je préfère voir mes impôts réinvestis près de chez moi qu’à Dijon ".

" Le premier hôpital est à 40 minutes "

Serge Rabau, qui tient la maison de la presse à Saulieu résume le sentiments de ses collègues "Les commerçants dans leur ensemble sont favorables au projet. Les chiffres de fréquentation en font rêver certains. Je pense que ce sera positif mais pas forcément autant que certains peuvent l’espérer. Avec la désertification qui menace, autant que ce soit une activité touristique qui s’installe plutôt qu’une activité industrielle polluante. Ici les classes ferment, le premier hôpital est à quarante minutes, les jeunes veulent s’en aller... On ne peut qu’être favorable à ce qui va dans l’autre sens, à condition de ne pas faire n’importe quoi".

Patrice Vappereau, maire de Saulieu. A la mairie de Saulieu tinte le même son de cloche "Qu’on le veuille ou non, en 40 ans il ne s’est pas passé grand chose dans le Morvan. Je suis Morvandiau, né à Saulieu il y a plus de 60 ans, et je pense qu’on ne doit pas garder le Morvan pour nous. Il ne faut pas gâcher cette opportunité " estime le premier magistrat de la commune, Patrice Vappereau (divers droite), qui souligne "Si on n’avait pas pris le risque de l’usine-relais, la maroquinerie n’aurait pas 130 salariés aujourd’hui, et bientôt 170. Le problème de l’eau soulevé par les opposants au projet est pour lui un faux problème : " L’eau potable ça se règle, les eaux usées aussi. On a une station de 4000 équivalents-habitants et il y 3 014 habitants ".

"Il y a eu 500 habitants de plus à Saulieu "

Pierre Poillot, conseiller général PS de Liernais, président du syndicat mixte du barrage de Chamboux, et principal moteur du projet au côté de l’ancien ministre socialiste, François Patriat, balaie lui aussi les arguments des opposants : "Nous aussi nous sommes préoccupés par la réserve d’eau potable et il n’est pas question de ne pas se conformer aux réglementations ". Le camping construit pour 6 MF en 1 992 sur lequel s’implantera le village répond selon lui déjà à la question "Il possède une conduite de refoulement des eaux usées de trois kilomètres vers Saulieu avec un potentiel de 1 500 habitants. Il y a aussi une conduite des eaux de ruissellement vers l’aval du barrage ". Concernant l’avenir du site, il se veut également rassurant : "Ils parlent de risque de friche, mais je vois mal 300 propriétaires abandonner leur bien.. Actuellement les trois-quarts des propriétaires renouvellent leur bail avec Pierre et Vacances au terme de celui-ci. Et le groupe affirme ne pas se faire de souci pour le remplissage. Ils misent sur une clientèle d’Europe du nord, sur Paris, Lyon et Genève. On nous dit aussi que le projet est démesuré par rapport au secteur, mais il y a eu 500 habitants de plus à Saulieu et le canton de Liernais avait le double de population il y a 30 à 40 ans. Saint-Martin-de-la-Mer compte aujourd’hui 290 habitants, ils étaient 800 en 1860... ".

Pierre Poillot admet que ce projet permettrait au syndicat de régler le problème du camping dont le fonctionnement n‘est plus couvert car la fréquentation n’est pas suffisante. Les gens aujourd’hui veulent davantage de confort (…) Mais la vraie question posée dans cette affaire c’est celle de l’utilisation et de la propriété du paysage ".
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CONTRE / L’association " Sauver Chamboux"

" Pas gérable à long terme "

L’association dénonce les risques de pollution de l’eau, le recours à des fonds publics et s’interroge sur le devenir du site en cas de désaffection.

Jocelyn Galland habite le hameau de Lavauit, commune de Saint-Martin-de-La-Mer: une vingtaine d’habitants, à quelques hectomètres du camping voué à disparaître au bénéfice des résidences Pierre et Vacances. Le 11 septembre 2001 n’évoque pas seulement pour lui l’attentat du World Trade Center... : " C’est aussi le jour où on a appris par voix de presse le projet Pierre et Vacances ". Mauvaise nouvelle.

Depuis ce jour, le ramoneur, qui s’imagine mal avec une ribambelle de pavillons, presque à sa porte, n’a eu de cesse de dénoncer ce projet. Avec d’autres opposants, il a créé " Sauver Chamboux " dont il est président. L’association revendique 200 adhérents et 4 000 signataires d’une pétition. " Nous ne sommes pas opposés au développement des gÎtes dans le Morvan " affirme Jocelyn Galland, "mais nous sommes contre les montages de spéculations immobilières dans le parc et contre l’urbanisation du lac".

"Les conseillers ont été bluffés "

Directeur de recherches au CNRS et membre de l’association, son voisin Bernard Outtier est arrivé là en 1986 (" il y avait deux personnes à l’année ") pour les mêmes raisons que Pierre et Vacances : la beauté et la tranquillité du site, et la proximité de l’A 6 qui lui permet de rester en contact avec Paris. Ce qui le gêne c ‘est " le côté démesuré du projet " :
" Si cela avait été 150 lits personne n’aurait rien dit. Mais 1 500 c’est démesuré, avec ce que cela va engendrer de destructions pour l’environnement ".

"Friche touristique "

Comme Jocelyn Galland, il ne croit pas à la réussite d’un tel lieu : " Ce n’est pas gérable à long terme. Le climat du Morvan n’est pas vraiment oelui de la Côte-d’Azur. L’humidité, le froid et le manque de lumière sont assez récurrents ici et les jeunes cadres dynamiques qui vont venir là n ‘auront pas grand chose à se mettre sous la dent. Pierre et Vacances ne prend pas de risques, il n’est pas propriétaire des maisons... Ce genre de concept fonctionne un moment puis se casse la gueule. Il nous restera alors 300 maisons pour 20 habitants sur Lavauts ! Les conseillers municipaux ne veulent pas voir les inconvénients futurs. Ils ont été complètement bluffés "

"Sauver Chamboux" renvoie à la friche touristique dont a hérité la commune de Bussy-en-Othe prés de Migennes après le fiasco de son complexe touristique. Lequel prévoyait, au début des années 70, rien moins que 200 maisons et trois coupoles pour les activités de détente.
L’association de défense rappelle également que le lac a été créé il y a 20 ans pour servir de réserve d’eau potable pour 18 000 habitants et s’inquiète des conséquences d’une arrivée de 1 500 nouveaux habitants sur le traitement des eaux.

Troisième et dernier des principaux griefs : l’utilisation des finances publiques pour accompagner cette implantation par un centre aqua-ludique: " Actuellement le camping est en déficit cumulé de 1,5 million de francs. Ce sont les gens qui le paient sur leur facture d’eau. Le centre aqua-ludique implique un financement par la communauté locale, syndicat mixte ou syndicat de communes. C’est de la fuite en avant. On sait que ce genre de structure même implantée dans des grandes villes ne fonctionne pas ".
L’association s’est fixé un nouveau rendez-vous-le 21 septembre pour une nouvelle manifestation.

Dossier Christian Picardeau.
lien sur le site de l'Yonne Républicaine : http://www.lyonne-republicaine.fr/dossiers/environn/divers/20020822.YON_D8207.html

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